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Enseignements catholiques

L'expérience et l'intelligence de la foi


L’histoire comme buisson théophanique et sentier sotériologique

Publié par Adechina Samson TAKPE sur 29 Septembre 2021, 09:03am

Catégories : #Recherches

Avec l’apparition de l’écriture il y a environ 6000 ans (en Mésopotamie et en Egypte), l’homme a voulu donner un écho de son passage sur la terre et transmettre un message aux générations suivantes. Il a sans doute estimé que ses expériences pourraient servir de lumière ou de leçon à ses fils et petits-fils. L’histoire est enseignante et éducatrice. Dans le contexte de l’histoire du salut, les tables des peuples et des générations (cf. Gn 5 ; 10-11 ; 25 ; 35-36 ; 46) traduisent à la fois une quête d’historicité et une volonté de compréhension du dessein de Dieu : rendre compte de la présence et de l’activité de l’homme au cœur de la création puis témoigner de l’action salvatrice de Dieu au cœur de l’histoire humaine. Lors de l’épisode du buisson ardent, Dieu se présente à Moïse comme « Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac, Dieu de Jacob » (Ex 3, 15), c’est-à-dire un Dieu présent au cœur de l’histoire des hommes. Annonçant la délivrance prochaine de son peuple et comme l’anticipant, il lui prescrit déjà avant même la sortie d’Egypte la célébration du mémorial de sa libération, afin que celle-ci soit gravée dans les annales de l’histoire : « Vous observerez la fête des pains sans levain car, en ce jour précis, j’ai fait sortir vos armées du pays d’Egypte. Vous observerez ce jour d’âge en âge – loi immuable.[1] » (Ex 12, 17). Pour que l’histoire demeure et continue d’être horizon de sens et maîtresse de vie, Dieu demande que l’on se souvienne de sa geste et qu’on la raconte : « Qu’on se souvienne de ce jour où vous êtes sortis d’Egypte, de la maison de servitude, car c’est à main forte que le Seigneur vous a fait sortir de là… Tu transmettras cet enseignement à ton fils » (Ex 13, 3.8). Se souvenir permet de comprendre la pédagogie divine : « Tu te souviendras de toute la route que le Seigneur ton Dieu t’a fait parcourir… le Seigneur ton Dieu faisait ton éducation comme un homme fait celle de son fils. » (Dt 8, 2.5). Le rituel de l’offrande des prémices de la terre promise exalte l’histoire comme sentier théophanique : « Tu prononceras ces paroles devant le Seigneur ton Dieu : ‘Mon père était un Araméen nomade, qui descendit en Égypte : il y vécut en immigré avec son petit clan. C’est là qu’il est devenu une grande nation, puissante et nombreuse. Les Égyptiens nous ont maltraités, et réduits à la pauvreté ; ils nous ont imposé un dur esclavage. Nous avons crié vers le Seigneur, le Dieu de nos pères. Il a entendu notre voix, il a vu que nous étions dans la misère, la peine et l’oppression. Le Seigneur nous a fait sortir d’Égypte à main forte et à bras étendu, par des actions terrifiantes, des signes et des prodiges. Il nous a conduits dans ce lieu et nous a donné ce pays, un pays ruisselant de lait et de miel. Et maintenant voici que j’apporte les prémices des fruits du sol que tu m’as donné, Seigneur. » (Dt 26, 5-10).

La tradition prophétique d’Israël, saisissant l’histoire comme buisson théophanique et sentier sotériologique, va faire sans cesse une lecture critique de l’histoire du peuple de Dieu. Le prophète est avant tout quelqu’un qui connaît l’histoire de l’alliance de Dieu avec son peuple, évalue le présent à la lumière du passé et interprète l’avenir au regard de l’histoire, c’est-à-dire à l’aune de la fidélité ou non du peuple à l’alliance. Le prophète est un historien qui regarde vers l’avenir. L’historien est un prophète qui scrute le passé. L’incarnation du Verbe, où l’éternité fait irruption dans le temps, qui portait déjà ses vestiges, donne un tournant décisif à l’histoire universelle. Le Logos éternel se fait le centre de l’histoire humaine, l’histoire devient le lieu d’accomplissement de l’homme et l’historicité une catégorie centrale de l’analyse existentiale. Les Evangiles s’insèrent dans cette compréhension en adoptant la forme de récit. C’est ce que stipule Saint Luc au commencement de son Evangile : « Beaucoup ont entrepris de composer un récit des événements qui se sont accomplis parmi nous, d’après ce que nous ont transmis ceux qui, dès le commencement, furent témoins oculaires et serviteurs de la Parole. C’est pourquoi j’ai décidé, moi aussi, après avoir recueilli avec précision des informations concernant tout ce qui s’est passé depuis le début, d’écrire pour toi, excellent Théophile, un récit ordonné, afin que tu te rendes bien compte de la solidité des enseignements que tu as entendus. » (Lc 1, 1-4). Faire de l’histoire sacrée, c’est donc produire un récit ordonné qui témoigne de la solidité des enseignements reçus. Chaque Evangile, dans le contexte de sa tradition et en tenant compte de ses destinataires, s’est efforcé d’atteindre cet objectif. Les Evangélistes témoignent d’un Dieu qui, tout en étant au-delà de l’histoire et transcendant toute historicité, se fait histoire, histoire de salut pour conduire la création, œuvre de ses mains, à son achèvement. Au moment de finir sa course visible sur les sentiers de notre histoire, ayant parcouru les sillons et les billons de l’existence humaine et les courbes dramatiques de son destin singulier, le Fils de Dieu institue des témoins qui vont perpétuer sa mémoire. Le « faites ceci en mémoire de moi » est une injonction en faveur de l’histoire. Grâce aux témoins, l’histoire, sanctifiée par le Verbe, continue d’être porteuse de vie. l’histoire n’est pas le temps, mais le contenu du temps. Elle est faite de paroles, de gestes, de pensées qui ont rempli le temps dans son cours invisible et l’ont rendu palpable. Le rôle des témoins est donc d’aller faire de l’histoire sacrée, une histoire qui devient vie par la puissance de l’Esprit Saint. Ils n’ont qu’à rapporter ce qu’ils ont vu et entendu. C’est pourquoi Pierre dit : « Nous ne pouvons taire ce que nous avons vu et entendu. » (Ac 4, 20). Chez Corneille, il ne fait pas autre chose que de raconter ce qu’il a vu et entendu : « Vous savez ce qui s’est passé à travers tout le pays des Juifs, depuis les commencements en Galilée, après le baptême proclamé par Jean :  Jésus de Nazareth, Dieu lui a donné l’onction d’Esprit Saint et de puissance. Là où il passait, il faisait le bien et guérissait tous ceux qui étaient sous le pouvoir du diable, car Dieu était avec lui. Et nous, nous sommes témoins de tout ce qu’il a fait dans le pays des Juifs et à Jérusalem. Celui qu’ils ont supprimé en le suspendant au bois du supplice, Dieu l’a ressuscité le troisième jour. Il lui a donné de se manifester, non pas à tout le peuple, mais à des témoins que Dieu avait choisis d’avance, à nous qui avons mangé et bu avec lui après sa résurrection d’entre les morts. » (Ac 10, 37-41). Et pendant que Pierre relate l’histoire, l’Esprit Saint fond sur tous ceux qui ont écouté la parole (cf. Ac 10, 44). Tout récit de l’histoire d’amour de Dieu avec son peuple porte un germe pentécostal.

Faire de l’histoire de l’Eglise est une entreprise missionnaire et évangélisatrice. Comme récit de la fidélité de Dieu envers son peuple, l’histoire de l’Eglise veut prolonger l’événement pentécostal, donnant ainsi suite à la vie et à l’œuvre du Christ dans le monde pour les hommes et femmes d’aujourd’hui. En relisant l’activité des pionniers de l’évangélisation, on est encouragé par leur exemple. La contemplation du don total qu’ils ont fait de leur vie à Dieu et l’ardeur de leur engagement au service du prochain nous stimulent. Leurs actions héroïques nous poussent à les imiter. Le récit de leurs manquements et de leurs faiblesses nous montre là où nous autres n’avons plus le droit d’achopper. Il montre aussi que l’Église ne subsiste que par la puissance de Dieu. L’histoire de l’Église, en mettant à nu la faiblesse humaine, permet de se rendre compte de l’amour de Dieu et de la fidélité de Jésus Christ à la promesse faite à Pierre : « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église ; et la puissance de la Mort ne l’emportera pas sur elle. » (Mt 16, 18). Cette assurance affermit le cœur du lecteur croyant. Il sait que quoi qu’il arrive, la barque de Pierre voguera sur les eaux agitées du monde sans craindre de sombrer. L’histoire de l’Eglise nous fait découvrir également la grande foule des saints qui s’offrent à nous comme de petites lumières participant de « la vraie lumière qui éclaire tout homme en venant dans le monde » (Jn 1, 9). Ce sont des lumières fiables qui ne peuvent nullement nous égarer, dans la mesure où elles émanent du Christ Lui-même. C’est pourquoi Saint Paul disait : « Imitez-moi, comme moi aussi j’imite le Christ. » (1 Co 11, 1) ou encore : « Frères, ensemble imitez-moi, et regardez bien ceux qui se conduisent selon l’exemple que nous vous donnons. » (Ph 3, 17). Ainsi, chaque témoin du Christ que l’histoire de l’Eglise nous découvre nous dit : « Je vous exhorte donc : soyez mes imitateurs. » (1 Co 4, 16). Dans cette saine et sainte émulation, la croissance spirituelle du Corps du Christ est promue. La toile de fraternité et d’intercession s’élargit pour que Dieu confère toujours force et vitalité à son Eglise. Instruits et éclairés par l’exemple de nos pères dans la foi, nous devenons plus forts pour poursuivre l’écriture de l’histoire où le Logos divin a irréversiblement établi sa tente. L’histoire de l’Eglise fournit un horizon d’interprétation, d’évaluation et de compréhension de la vie ecclésiale multiséculaire. Elle fournit également un rempart contre les vents hérétiques. En effet, « il n’y a rien de nouveau sous le soleil » (Qo 1, 9) ; les hérésies d’aujourd’hui sont un recyclage des hérésies d’hier au moyen de l’ignorance historique. Je dirais avec l’Ecclésiaste : « S’il est une chose dont on puisse dire : ‘Voyez, c’est nouveau !’ – cela existe déjà depuis les siècles qui nous ont précédés. » (Qo 1, 10). Le mal est donc qu’ « il n’y a aucun souvenir des temps anciens » (Qo 1, 11) ou que les temps nouveaux n’ont pas pris le temps de « revisiter » les temps anciens. Si les hérésiarques contemporains s’étaient donné le temps de faire un peu d’histoire de l’Eglise et avaient su comment leurs préoccupations avaient déjà été prises en compte par les générations passées, il y aurait moins d’hérésies, les anciennes erreurs ne resurgiraient pas avec tant d’ardeur. L’histoire de l’Eglise nous préserve de l’ignorance, de l’erreur et de la mort. Elle est porteuse de vie et de salut.

Adéchina Samson Takpé

 

[1] J’ai mis « J’ai fait sortir » en relief pour faire remarquer que le verbe est au passé-composé alors même que la sortie d’Egypte n’avait pas encore eu lieu.

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